À Chaillot, une soirée Mazliah / Forsythe immanquable, par le Ballet de l’Opéra de Lyon

Dans un programme consacré à William Forsythe, pourquoi ouvrir sur une pièce de Fabrice Mazliah ? Tout simplement parce que celui-ci a fait partie du Ballet de Francfort puis de la Forsythe Company et que comme il le dit, ces dix ans passés aux côtés du maître font intrinsèquement partie de lui. Pourtant la filiation n’est pas si lisible. Sheela Na Gig, commande du Ballet de l’Opéra de Lyon créée en 2021, met en scène un sextuor féminin et se propose d’explorer le statut de la danseuse sur scène, ses ressentis. Pour ce faire il convoque leurs voix, qui entonnent des chants populaires ou traditionnels, en français et en anglais, toujours écrits par des femmes. Les six interprètes font corps de bout en bout, par le touché, le regard, leur étroite proximité. Leurs gestes qui semblent parfois empruntés aux tâches quotidiennes sont le plus souvent ceux de l’exploration. Au sol ou très près de celui-ci, proches du déséquilibre, elles semblent chercher comme de jeunes faons les diverses possibilités offertes par leurs membres. Sensible, délicat et organique, cet opus reçut le soir de la première parisienne quelques huées. Comme il est difficile de les attribuer à un défaut de qualité ou à une trop grande radicalité, on suppose qu’un public venu admirer la virtuosité des pièces de Forsythe aura été déçu.

Deux chefs-d’œuvre

Mais place au maître ensuite avec deux de ses plus belles créations. Quintett (1993), d’abord, met en jeu deux danseuses et trois danseurs dans des duos aériens. Un vaste écran blanc en fond de scène, un imposant projecteur, une trappe forment son décor ; Jesus’ Blood Never Failed Me Yet de Gavin Bryars donné en boucle forme son émouvante bande son. Les corps glissent avec rondeur au bord du déséquilibre, les femmes s’évanouissent dans les bras des hommes ou s’envolent, les interprètes apparaissent et disparaissent, les couples se séparent et se reforment, différents, dans une sorte d’éternité fragile mais toujours renouvelée. Cet opus écrit par Forsythe au moment de la mort de son épouse est remarquable et superbement dansé par le Ballet de l’Opéra de Lyon. Place enfin à l’époustouflant One Flat Thing, reproduced (2002). Vingt tables envahissent en trombe le plateau tractées par les interprètes. Parfaitement alignées, elles dessinent un quadrillage serré. La danse, intense, d’une rapidité folle, s’invite sur, sous et dans les interstices laissés par ces plaques métalliques. Les corps glissent, grimpent, frappent dans un fourmillement époustouflant réglé au cordeau, et la compagnie lyonnaise montre encore une fois toute l’étendue de son talent.

Delphine Baffour