Arco Renz La tension des contraires

Quelles significations donnez-vous au titre ?

Arco Renz : Il peut désigner la version féminine du héros. Notre
recherche est partie des images d’héroïnes que véhiculent les jeux vidéo.
Façonnées selon les fantasmes masculins, elles sont à la fois sensuelles et
puissantes, Lara Croft dans Tomb Raider représentant le stéréotype
parachevé. La danseuse surgit de la pénombre et apparaît conforme à cette icône
de perfection, qui se défait lentement, lutte contre son carcan? s’humanise. Le
titre évoque aussi la drogue, et par extension, un état de transe, une
méditation en mouvements qui provoque un changement d’état, l’idée d’un voyage à
l’intérieur d’une seule image pour en découvrir toute la richesse.

Vous travaillez sur la notion de « temps vertical »? c’est-à-dire ?

A. R. : Cette métaphore renvoie à un instant qui s’éternise et se
poursuit en cycles, contrairement au « temps horizontal » qui se déroule
linéairement en une succession de scènes. De même, dans la tradition occidentale
héritée du ballet académique, les danseurs évoluent dans l’espace et en modifie
la configuration par leurs déplacements. Ici, l’espace, précisément délimité,
est « vertical », c’est-à-dire que, comme dans la danse et le théâtre classique
asiatiques, le performeur devient, par l’énergie qu’il dégage, l’axe autour
duquel évolue l’espace imaginaire. Soumise à ces structures spatiales,
musicales, temporelles, la danseuse Su Wen-Chi réagit, tente de trouver sa
liberté, d’affirmer ses envies. Le jeu de forces que produit la contradiction
entre les contraintes extérieures et le désir de liberté dessine la dramaturgie
de la pièce.

Le mouvement dans l’immobilité, la variation dans la répétition, le visible
dans l’obscurité? Votre démarche frotte souvent les contraires.

A. R. : La tension des contraires constitue l’essence du drame au
théâtre. Cette lutte intérieure, qui manifeste notre quête de liberté en fait,
est une problématique fondamentale à laquelle nous sommes tous confrontés dans
notre existence. Or je cherche à exprimer par la danse des expériences de vie,
des faits réels. Ma démarche chorégraphique vise à traduire dans un langage
abstrait du corps, dépouillé de l’anecdotique, les lignes de forces qui forgent
l’expérience humaine.

Comment la gestuelle s’élabore-t-elle ?

A. R. : Le vocabulaire naît de ces oppositions, qui possèdent aussi des
résonances symboliques. La gestuelle se développe depuis l’intérieur du corps,
non pas dans une perspective psychologique ou émotionnelle, comme dans le
mouvement expressionniste allemand, mais dans un travail très physique de
manipulation d’énergies. Si la culture asiatique imprègne Héroïne, nous
essayons d’éviter tout mimétisme ou citation des techniques et des styles
d’Asie. La concentration extrême sur une image, un geste nous aide à nous
défaire des savoir-faire.

Entretien réalisé par Gwénola David

Héroïne, de Arco Renz, chorégraphie de Arco Renz et Su Wen-Chi, dans le
cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, le 12
mai à 19h et le 13 mai à 18h, à la MC93 Bobigny, 1, boulevard Lénine, 93000
Bobigny. Rens. 01 55 82 08 01 et
www.rencontres-choregraphiques.com