Avec Stanislas Nordey et Hélène Alexandridis, Jacques Vincey crée « Quartett » d’Heiner Müller

« Dans Quartett, Heiner Müller part des Liaisons dangereuses de Laclos. À partir d’un roman de 200 pages, il crée une pièce de 20 pages, d’une relation épistolaire, une confrontation en présence de Valmont et Merteuil. C’est donc un concentré, un précipité chimique en huis clos qui conduit les deux protagonistes à s’emparer également des rôles de Madame de Tourvel et Cécile Volanges, qu’ils font revivre en les imitant. Un quatuor se met ainsi en place, d’où le titre, avec sa musique, ses contrepoints et variations de rythme, dans lequel la question des rapports de domination et la question du devenir du désir face à la décomposition des corps, à la mort qui approche, se posent de manière très crue.

Un moment de grâce du théâtre

Entre Laclos et Müller sont passés entre autres Sade, Strindberg ou Bataille. Müller s’affranchit donc de toute considération morale et s’autorise à pousser les deux protagonistes au-delà de leur intelligence. Il la plonge dans leurs corps et leurs cœurs et compose ainsi un concentré de poésie irréductible à toute interprétation et en même temps ouvert à toutes les interprétations. Il me fallait pour porter ce quatuor deux interprètes capables de rendre la pensée de Müller concrète, d’ancrer sa poésie dans des corps et des rapports physiques, parfois brutaux. Ainsi mon désir de monter cette pièce, sorte d’aboutissement d’un sillon que j’ai creusé au CDNT, s’est cristallisé autour d’Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey. Ils seront en costumes d’époque, dans ce faste du XVIIIème où l’on recouvrait la Nature d’artifices, enfermés dans une sorte de bulle blanche qui ne leur permettra pas pour autant d’échapper à la décomposition. Alexandre Meyer les accompagnera au saz, sorte d’oud turque, électrifié, qui approfondira la puissance de ce texte. »

Propos recueillis par Eric Demey