Elsa Agnès est mise en scène par Anne-Lise Heimburger dans son propre texte : Le caméléon

Ce premier travail d’écriture a été inspiré à la comédienne Elsa Agnès par la lecture de Kathy Acker (1947-1997), poétesse, romancière, essayiste et militante féministe américaine. « La forme chaotique de ses textes, les thèmes abordés, l’humour, le souffle épique qui fait que le trash ne vire jamais au glauque par excès de complaisance, tout cela a agi comme une porte d’entrée dans l’écriture » explique l’autrice. La pièce, en forme d’autoportrait démultiplié, fait d’abord exister une jeune fille prénommée Opale. Et Opale se souvient, se projette de manière pulsionnelle ; elle est prise dans le tourbillon de l’incarnation de ses différentes figures féminines rêvées, fantasmées, désirées. De ces créatures caméléons qui ont en commun d’être assujetties aux attentes de l’autre, notamment dans leur rapport au masculin, Opale se débarrasse par mues successives jusqu’à advenir en tant que telle, en tant que femme. Le spectacle, dont la création a été soutenue par La Comédie de Reims, tient du parcours initiatique. Suivant ce fil rouge, « comment passer d’objet du désir à sujet qui désire ? », la quête prend la forme d’une véritable conquête.

Un dispositif scénique très léché

Sur un plan dramaturgique, le propos place la barre à de singulières hauteurs. Mises à l’épreuve par la densité d’un flot verbal quasi-ininterrompu, par des changements de costumes à vue dans une espèce de fondu enchaîné au rythme soutenu, les qualités d’interprète d’Elsa Agnès sont absolument manifestes. En dépit de quelques divagations textuelles un peu longuettes, elle nous tient là où sa prosopopée convaincante nous attache. La qualité de sa prestation doit beaucoup au dispositif scénique – et aux costumes – co-imaginés par la metteuse en scène, artiste associée à La Comédie de Reims Anne-Lise Heimburger et par l’autrice, interprète et metteuse en scène Silvia Costa. La scénographie, sensée de bout en bout, a été pensée pour être un véritable partenaire de jeu. L’actrice s’y glisse comme dans une penderie. Un jeu de vêtements, façon seconde peau, l’attend, dont les couleurs lui permettent de se fondre dans le décor ; tel le caméléon dans ses métamorphoses successives, elle a sous la main, disposés et exposés de manière imaginative, les éléments nécessaires à son camouflage. Dans ce seul en scène engagé qui s’apparente à une performance, Elsa Agnès peut compter sur le savoir-faire et le talent d’Eve Risser à la composition musicale, d’Adrian Bourget à la création sonore, de Guillaume Allory à la création lumière.

Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens