Futuro antico Martin Palisse et Halory Goerger

Dans Slow futur (2017), créé avec Elsa Guérin, Martin Palisse commençait à plonger sa pratique du jonglage dans un monde futuriste. Dans un espace froid, hypnotique. Sur un long tapis roulant éclairé par des néons, au rythme des batteries et des oscillateurs du groupe Zombie Zombie, les deux circassiens défiaient non seulement l’apesanteur, mais aussi le mouvement horizontal, mécanique, de leur très étroite piste. Seul cette fois sous son chapiteau, le jongleur et directeur du Sirque, Pôle National des Arts du Cirque de Nexon Limousin, prolonge l’expérience avec Futuro antico dans un dispositif tout aussi contraignant, exigu. Et tout aussi visuel. Soit une plateforme carrée et lumineuse dont les propriétés d’abord mystérieuses se révèlent au contact de l’interprète. Au fil du rituel ou « cérémonie fantastique » auquel il se livre dans le but, explique-t-il, de « faire renaître l’acte initial et sacré du jonglage ». La technologie, qu’il est l’un des rares jongleurs à utiliser à un tel degré et avec une telle exigence, est donc pour Martin Palisse une manière d’abolir toute temporalité. De nouer des liens entre passé et futur qui ne peuvent exister que sur une piste. Ou sur un plateau de théâtre, les frontières entre les disciplines étant elles aussi effacées dans Futuro antico.

Autofiction du futur

Sur sa dalle de trois mètres sur trois mètres, Martin Palisse dialogue sans un mot avec tout ce qui l’entoure. Avec la création lumière d’Alice Dussart qui est pour beaucoup dans l’aspect futuriste, spatial, de la pièce. Avec l’œuvre vidéo conçue par Giulia Grossman et François Decourbe, avec aussi les quelques textes écrits par Blandine Rinkel et Halory Goerger – qui co-signe aussi la mise en scène avec Martin Palisse – et avec le bricolage musical réalisé en direct par Cosmic Neman, membre de Zombie Zombie. La partition est d’une précision parfaite. Le jongleur, qui revendique une pratique minimaliste, une « esthétique du “less is more’’ », y occupe une place centrale. Sans aller toutefois jusqu’à incarner un personnage. Si Futuro antico est une autofiction, il donne à approcher un rapport au temps et au jonglage davantage qu’un homme, qu’une identité. Ce qui constitue à la fois l’intérêt de la proposition et sa limite. Car si ce parti-pris permet à Martin Palisse d’échapper à toute forme d’anecdotique et de narcissisme, il l’empêche aussi d’aller au-delà des lois mathématiques auxquelles il a choisi de s’astreindre. Divisé en deux parties, le spectacle était censé évoluer vers une sorte de transe. Il s’arrête hélas à son seuil, avant d’avoir pu mettre le spectateur dans l’« état d’alerte sensorielle » recherché.

Anaïs Heluin