La Mouette, d’après Tchekhov, mise en scène Paul Desveaux

Au nombre des qualités qui sont celles de cette « Mouette », il en est une tout à fait remarquable : sa simplicité. Le texte en est, intimement, poétiquement revigoré, comme si nous l’entendions pour la première fois. Le mérite en revient au metteur en scène, Paul Desveaux, qui a fait le choix de l’humilité pour mieux se mettre au service de la beauté de ce poème dramatique. Les liens privilégiés entretenus avec les traducteurs, André Markowicz et Françoise Morvan, ont permis d’ajuster, dans le détail le plus infime, le texte au plateau afin de le rendre absolument limpide, permettant également aux acteurs de le prendre en bouche de façon très naturelle. Dans cette direction voulue par le metteur en scène, celle de l’épure – également chère à l’auteur -, le jeu éclaire les multiples enjeux d’une intrigue complexe touchant à des points névralgiques de notre humanité.  Mêlant le profond, le mesquin, le tragique et le ridicule, Tchekhov rassemble dans une datcha familiale une dizaine de protagonistes qui donnent chair au conflit irrémédiable entre les générations en jouant sur nombre de ses aspects. Un conflit dont la jeunesse sort, sottement, sacrifiée sur tous les tableaux.

Un jeu au service du texte

Ressort de la pièce, cet antagonisme générationnel tragique sur le fond duquel se rejouent également les troubles de l’amour et la querelle des Anciens et des Modernes, est habilement servi par la distribution des rôles. Les acteurs apprentis, membres de l’Esca (Ecole Supérieure de Comédiens par Alternance), que sont Simon Cohen, Vincent Arfa, Alexis Debieuvre, Julien Despont, Milla Nizard, Fany Otarola, Tristan Pellegrino, Héloïse Werther, partagent le plateau avec les comédiens aguerris Léonore Chaix (Arkadina), René Loyon (Sorine) et Igor Skreblin (Trigorine). À la maîtrise des seconds, parfaits dans leurs rôles respectifs, s’allient la fougue, l’énergie enthousiaste des premiers, talents en herbe généreux et audacieux. Le dépouillement de la scénographie qui fonctionne par évocation, suivant l’enchaînement des décors voulu par l’auteur, permet à l’attention de se concentrer sur la poésie du verbe, faussement familière, sur sa percussion et ses répercussions. La partie musicale, pour l’essentiel jouée en direct au piano, parachève un dispositif scénique que les jeux de lumières soutiennent avec tact. Un beau moment de théâtre.

Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens