L’Incivile, texte Lauren Houda Hussein, mise en scène Ido Shaked

C’est au sein de l’Ecole internationale de théâtre Jacques Lecoq qu’ils se rencontrent, en 2007. Elle, comédienne et autrice, est franco-libanaise. Lui, metteur en scène, est israélien. Deux ans plus tard, Lauren Houda Hussein et Ido Shaked fondent ensemble la Compagnie Le Théâtre Majâz à Paris, avec pour ambition de sonder nos mémoires et d’interroger le monde chahuté dans lequel nous vivons. Ainsi, en 2012, Les Optimistes traitent de la question des habitants expulsés de Palestine en 1948. Quant à Eichmann à Jérusalem ou les hommes normaux ne savent pas que tout est possible, ce spectacle s’empare, en 2016, du procès d’un criminel nazi datant de 1961. Aujourd’hui, c’est dans un lycée de France que les deux artistes nous transportent. Un lycée bousculé par une histoire de voile. Au centre de l’affaire, une élève de terminale, Nour Belkacem, qui après avoir participé à un atelier de théâtre intitulé « Les Antigone de nos jours » a pris l’habitude de réciter voilée, debout sur un banc, devant ses camarades, des extraits d’Antigone. Ces happenings font scandale. Des vidéos circulent sur les réseaux sociaux. Une chaîne de télévision, même, s’empare de l’événement. Devant l’ampleur du battage médiatique, la proviseure pense faire son devoir en convoquant un conseil de discipline.

Des chaises et quelques tables

C’est sur ce conseil que s’ouvre L’Incivile, une pièce-kaléidoscope qui plie les règles du plateau aux exigences du théâtre qu’elle a pour objet d’engendrer. Un théâtre habile, libre, malicieux dont le dépouillement scénographique claque comme la beauté âpre et brute d’une forme d’ascèse. Ici, point de grand décor. Une dizaine de chaises et quelques tables suffisent à planter le cadre de cette réflexion aux innombrables facettes. De la salle du conseil de discipline à la salle des professeurs, d’un couloir du lycée au foyer de l’élève incriminée, les scènes s’entrecroisent et s’enchâssent, déployant la multitude d’interrogations, de points de vue, de doutes que fait surgir le geste de Nour. Révélateur des dilemmes intimes qui tenaillent l’adolescente, mais aussi des élans qui animent professeurs et élèves, le voile qu’elle arbore projette une lumière crue sur une situation des plus complexes. Le travail de Lauren Houda Hussein et Ido Shaked ne cherche jamais à épuiser cette complexité. S’appuyant sur l’étonnante énergie des interprètes (Charlotte Andrès, Laurent Barbot, Anissa Daaou, Lauren Houda Hussein, Dan Kostenbaum, Arthur Viadieu, Noémie Zurletti), L’Incivile vise au contraire à en exprimer toute la démesure. Elle le fait de façon exemplaire. Et finit par se laisser rattraper, entre légèreté et gravité, par le déchirement de la tragédie.

Manuel Piolat Soleymat