Sankai Juku en tournée

Même si Ushio Amagatsu s’inscrit pleinement dans l’esthétique butô, on peut considérer qu’il représente à lui seul toute une mouvance. Unique en son genre, il a su, au fil des créations, ne rien lâcher d’un geste né de la lenteur, de la puissance et de la gravité, construit sur les fantômes de la guerre, tout en accompagnant sa danse vers la lumière. Chaque pièce est tendue entre ces deux pôles, soufflant une étrange mystique. Le spectacle en devient une expérience intense, où les corps sont pris dans un environnement visuel et sonore très prégnant. C’est ce que l’on verra dans Utsushi, proposition qui constitue une sorte de florilège de presque quarante ans de créations : Sankai Juku reprend ici ses morceaux de choix, puisés dans son répertoire, et qui, conjugués ensemble, forment une saga à découvrir d’une traite. Une belle entrée dans l’univers du chorégraphe japonais, qu’il s’agira de fouiller ensuite avec sa dernière création, Umusuna. Ici, le temps semble comme suspendu, et s’étire à mesure que s’écoule le sable tout au long de la pièce.

Répertoire et actualité

La scénographie d’objets et de lumières prend une place importante dans Umusuna. Deux pendules massives distillent leur fine coulée de sable, tandis que l’espace de la danse est divisé en deux plateaux déjà recouvert de cet élément, qui absorbe les chocs et apaise les pas. L’univers est feutré, mais la partition lumineuse, qui découpe plus encore l’espace en lignes tranchantes, offre des reliefs au fil des sept tableaux qui composent le spectacle. Il y a quelque chose d’un rituel dans leurs traversées, quelque chose de profondément archaïque dans leurs postures. On reste happé par ce cérémoniel d’un autre âge, semblant venir des profondeurs de la terre, que résume parfaitement le titre, conjuguant en japonais les notions de naissance, de néant et de terre.

Nathalie Yokel