Stallone, d’après Emmanuèle Bernheim, mise en scène Fabien Gorgeart

« Elle allait faire comme lui, elle allait tout recommencer. Elle avait vingt-cinq ans. C’était maintenant ou jamais. » Quel secret, quelle force, quel désir poussent Lise, secrétaire médicale du Docteur Marchal, en couple avec Michel, à vouloir soudain transformer sa vie, affirmer sa liberté ? La réponse est simple, radicale : c’est lorsqu’elle a vu dans le film Rocky III Rocky Balboa vaincre Clubber Lang grâce à sa rage de vaincre et son travail acharné que tout bascule. Elle s’identifie au boxeur légendaire, fait le serment d’aller voir tous les films de Sylvester Stallone et lui voue une reconnaissance éternelle. Elle rompt alors avec Michel, avec sa famille, démissionne, déménage et reprend ses études de médecine ; elle s’inscrit ensuite dans un club de boxe, rencontre Jean, si joyeux et aux grands bras rassurants, devient mère. Racontée à la troisième personne, ciselée par des phrases concises et limpides qui frappent juste, la nouvelle de la scénariste et romancière Emmanuèle Bernheim (1955-2017), publiée dans le journal Le Monde en 2001, a bouleversé la comédienne Clotilde Hesme autant que le metteur en scène Fabien Gorgeart, tous deux familiers des univers du théâtre et du cinéma. Comment restituer sur scène la puissance de l’expérience de lecture ? Donnant voix à Lise et à celle qui conte son histoire, Clotilde Hesme y parvient avec une finesse et une sensibilité de chaque instant, sans jamais se laisser aller à la facilité des bons sentiments, mais en traversant au contraire les vifs contrastes et l’intensité poignante des émotions de Lise. On adore par exemple ce moment où elle raconte et sautille en une danse qui rappelle la gestuelle des boxeurs sur le ring.

La force de vivre et ses inspirations

Si la partition est à ce point réussie, c’est aussi parce qu’elle se joue à deux, dans un lien qui déjoue la solitude de la comédienne, et laisse émerger un humour savoureux. Clotilde Hesme, debout, avec micro, est en effet accompagnée par Pascal Sangla, compositeur, pianiste et comédien, installé à jardin derrière un bureau. Il joue sa musique sur un clavier, s’appuie sur l’iconique chanson Eye of the Tiger, mais aussi donne voix à de nombreux personnages qui peuplent la vie de Lise. Ses répliques bavardes et très souvent drôles font mouche. L’histoire finira mal, mais elle célèbre merveilleusement la force de vivre d’une jeune femme, l’impact des livres, films et autres œuvres d’art qui fécondent l’entraînement au long cours qu’est la vie, avec ses joies et épreuves. Pour finir laissons la parole à un autre immense boxeur, asthmatique, luttant sans relâche pour saisir la vie par les mots. Dans Sur la lecture, préface de Sésame et les Lys, Marcel Proust écrit : « notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs. »

Agnès Santi