Tempest Project d’après un travail autour de La Tempête de William Shakespeare, adaptation et mise en scène Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Né d’un travail de recherche mené aux Bouffes du Nord en février 2020 par Peter Brook et Marie-Hélène Estienne auprès d’un petit groupe de comédiens, ce spectacle est nourri de la longue expérience théâtrale et humaine d’un maître de théâtre. Œuvre merveilleuse et mystérieuse, La Tempête fascine depuis toujours les metteurs en scène, auxquels elle impose plusieurs défis de taille – sa dimension surnaturelle d’abord, ainsi que le caractère si énigmatique et complexe de Prospero, ou encore les illusions et manipulations orchestrées certes par l’art de la magie mais aussi et sans doute surtout par ce qui ressemble fort aux aléas et méandres de la vie, qui sans cesse obligent au changement… Là est le génie de Shakespeare, qui toujours ouvre des perspectives éclairant les vertiges et les contradictions de la condition humaine. Peter Brook décrit magnifiquement le cheminement initiatique du Duc magicien. « Pour Prospero, la liberté n’a pas de définition. Il la cherche pendant toute la pièce. » remarque-t-il.  Trahi par son frère aidé du Roi de Naples, il se trouve exilé pendant des années avec sa fille sur une île inconnue, en compagnie de l’esprit de l’air Ariel et de Caliban, qu’il a asservis. D’abord dévoré par son désir de vengeance, qui le conduit à mettre en œuvre un naufrage faisant accoster ses ennemis sur les rives de l’île, il finit grâce à l’union de sa fille et du fils du Roi de Naples par s’ouvrir au monde, se délivrer de l’enfermement qui le tenaille et renoncer à sa revanche.

La difficile recherche de la liberté

Ouvert au monde, Peter Brook l’est assurément, et son théâtre porte haut la riche diversité de ses cultures et traditions. A propos de La Tempête, il confie : « Les acteurs occidentaux ont en eux toutes les qualités nécessaires pour explorer dans les pièces de Shakespeare ce qui concerne la colère, le pouvoir, la sexualité, l’introspection. Mais quand il s’agit de toucher au monde invisible, la diffculté émerge et tout se bloque. Dans les cultures dites « traditionnelles » les images de dieux, de magiciens, de sorcières, sont naturelles. Pour interpréter un personnage qui n’est pas réel, l’acteur occidental doit faire de vraies acrobaties. Mais pour l’acteur venant d’un pays où les cérémonies et rituels sont encore vivants, le chemin qui mène à l’invisible est la plupart du temps naturel. » Au-delà des visions exclusivement rationalistes, politiques ou historiques, Peter Brook choisit donc le déconfinement des esprits, la métaphysique, autour du thème majeur de la liberté, qu’elle soit individuelle ou sociale. Au Théâtre Gérard Philipe comme dans l’écrin unique des Bouffes du Nord, qui porte si beau l’usure du temps, cette version épurée et concentrée de La Tempête est une belle promesse. Avec les comédiens Alex Lawther, Paula Luna, Marcello Magni, Daniel Mattar, Ery Nzaramba et Yohanna Fuchs (chant).

Agnès Santi