Maître de conférence en économie à l’université Paris Descartes, Sylvie Pflieger oriente ses activités de recherche vers l’économie de la culture*. Prévoyant, pour les années à venir, une baisse significative des budgets alloués au secteur culturel, l’universitaire craint la naissance d’une culture à deux vitesses.
Dans quelle mesure les activités liées à la culture en général, et aux arts de la scène en particulier, peuvent-elles être envisagées comme des éléments de stimulation économique ?
Sylvie Pflieger : Dès les années 1980, on a commencé à envisager le secteur culturel comme un secteur économique à part entière, créant des emplois, de la valeur ajoutée… Nombre d’études « d’impact économique » ont mis en lumière les effets directs et indirects, sur l’économie locale, d’un événement ou d’une institution culturels. Plus récemment, dans nos sociétés contemporaines dont le développement économique est fondé sur l’économie de la connaissance, c’est le concept d’industries culturelles et créatives qui est mis en avant, et qui a été repris dans le traité de Lisbonne pour l’Union Européenne. On attend de ces industries qu’elles irriguent l’ensemble des secteurs économiques et diffusent de l’innovation et de la créativité. La culture n’est ainsi plus seulement envisagée du point de vue de la consommation finale, mais de celui de la consommation intermédiaire.
Quelle politique culturelle serait, selon vous, la mieux adaptée à la crise qui secoue notre économie ?
S. P. : Une politique culturelle qui d’abord donne le cap, fixe les grands objectifs à moyen et long terme, et coordonne l’ensemble des acteurs culturels. Le soutien de la création et de l’innovation doit être considéré comme un facteur de dynamisme et de renouvellement, sans négliger pour autant la sauvegarde du patrimoine, symbole de notre culture et facteur d’attractivité, mais aussi creuset de savoir-faire traditionnels et d’inspiration créative. Enfin, permettre une accessibilité du public toujours plus grande renforce à terme le facteur créativité et se révèle source de lien social, ce qui ne peut que contribuer à soutenir le développement économique.
« La diversification des sources de financements risque d’entrainer une culture à deux vitesses. »
La crise que nous vivons peut-elle signer l’arrêt de mort de l’exception culturelle française ?
S. P. : Si l’on entend par exception culturelle le poids de l’intervention de l’Etat et notamment du ministère de la Culture et de la Communication dans le financement de la culture, on peut effectivement s’interroger quant à l’avenir de ces financements.
Dans un contexte général de rigueur budgétaire et de limitation des dépenses publiques, même si officiellement le principe de « sanctuarisation » du budget du ministère de la Culture a été proclamé, et ceci alors que la plupart des pays européens poursuivent de très fortes coupes budgétaires dans le secteur culturel, il est peu probable que le ministère de la Culture puisse maintenir intact son budget tandis que la majorité des autres ministères voient le leur diminuer. Et d’ailleurs, d’ores et déjà, le collectif budgétaire voté en février 2012 par l’Assemblée Nationale a entériné une baisse du budget des missions « Culture », et « Medias, livre et industries culturelles », ainsi qu’une baisse pour la diplomatie culturelle, pour un montant total d’environ 62 millions d’euros. Par ailleurs, les institutions culturelles, en particulier dans le secteur du spectacle vivant, mais aussi dans le secteur patrimonial, enregistrent des diminutions régulières de leur budget artistique depuis 2009. Sachant que les collectivités territoriales qui financent la culture (pour un montant sensiblement équivalent à celui du budget du ministère de la Culture) connaissent elles aussi des difficultés financières, notamment en raison de la croissance des dépenses de protection sociale, on ne peut a priori espérer, pour les années à venir, ni croissance ni même maintien à l’état actuel des financements publics pour la culture.
Face à cette situation, quelles perspectives s’ouvrent aux institutions culturelles ?
S. P. : Le message qui leur est transmis est très clairement de rechercher d’autres ressources financières que les ressources publiques. Cela, via le mécénat, qui bénéficie d’une législation fiscale très favorable, mais qui cependant est en baisse depuis 2008 (du moins le mécénat culturel – rapport Admical 2010), ou/et via la diversification de leurs ressources propres : outre les recettes de billetterie, les ventes dans les boutiques, la vente du logo ou de la « marque », la location d’espaces – tournage de films, colloques, réceptions privées… La diversification des sources de financements n’est pas en soi négative, mais elle risque d’entrainer une segmentation du monde de la culture, une culture à deux vitesses. Car cette diversification est probablement plus facile à réaliser pour le secteur patrimonial, et notamment les grandes institutions muséales de renommée internationale, que pour le secteur du spectacle vivant. Pour ce dernier, la création artistique et la programmation se trouvent clairement fragilisées, voire menacées.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
* Sylvie Pflieger est notamment l’auteure de La culture. A quel prix ? (Paris, Ellipses, collection La France de demain, août 2011) et de La politique culturelle en France (ouvrage cosigné avec Greffe Xavier – La Documentation Française, Paris, 2009).